On m'a montré il y a peu le documentaire Sur les traces de Moby Dick.
On y découvre que l'huile de baleine jouait le rôle du pétrole avant la "découverte" de ce dernier.
Au début, les colons américains utilisaient les baleines échouées sur les côtes. Ils recevaient ce qui était donné et cela suivait le cours naturel des choses.
Puis ils décidèrent de prendre ce qui n'était pas donné, en allant chercher eux-mêmes les baleines là où elles se trouvaient.
L'huile de baleine avait de nombreux usages, comme celui de servir de combustible pour l'éclairage public.
J'imagine très bien des gens très propres sur eux, flanant entre chien et loup, éclairés par cette douce lumière au coût si terrible.
Comme Voltaire, nous pourrions écrire « C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. ».
Nous oublions trop souvent à quel prix nos commodités sont obtenues. Ce n'est pas de l'éthique sur l'étiquette (titre d'une campagne à laquelle j'ai participé au temps du lancement des produits équitables) dont nous avons besoin pour nous rafraîchir la mémoire, c'est de l'éthique dans nos consciences dont nous manquons. La société du spectacle occulte la fabrication des objets de notre quotidien. Nous nous complaisons alors dans l'ignorance de tout le travail accompli car son spectacle ne se déroule pas sous nos yeux.
Un autre aspect du documentaire illustre à mon sens une machine qui broie, et qui nous broie, le néo-libéralisme, ou la réaction en chaîne décrite par Jean-François Billeter, l'écrasement par la relation marchande de toutes les autres relations au monde.
Au début de l'aventure des baleiniers, c'est très amusant. Une baleine s'échoue, tout le monde va sur la plage et tout le monde est content de dépecer ce cadavre providentiel. Tout le monde a les pieds sur terre et c'est une célébration commune.
Puis, parce que l'avidité prend le dessus, on décide de se faire de l'argent en allant chercher soi-même les baleines.
C'est exaltant. Mais au fil des ans, des décennies, d'aller chercher les baleines en mer juste le long des côtes on passe à aller chercher des cétacés à l'autre bout du monde. D'un périple d'une journée on passe à des voyages de plusieurs années. D'un esquif artisanal on passe à un navire pré-industriel, où les employés arrivent à envier le sort des esclaves noirs dans les plantations du Sud esclavagiste... Vivante allégorie de ce qui se passe lorsque l'on cède devant la relation marchande : au début c'est très amusant, on a l'impression que l'on va acheter le monde, et à la fin on est devenu pire qu'un esclave.
Sans compter que Moby Dick finit par un naufrage.
Le livre d'Hermann Melville ne fut pas un succès à son sortie. Au contraire, il plongea son auteur dans l'oubli.
Pour reprendre un air d'une chanson de Brassens, les gens n'aiment pas... les cassandres. Surtout ne voyons pas le précipice vers lequel nous fuyons.